La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 mars 2022 (n° 21-84723 Publié - rectifié par un arrêt du 22 mars 2022), donne cette définition d'un trottoir : « la partie d'une voie urbaine qui longe la chaussée et qui, surélevée ou non, mais distinguée de celle-ci par une bordure ou tout autre marquage ou dispositif, est réservée à la circulation des piétons ».
Le trottoir est généralement défini et compris comme la partie latérale d'une rue, surélevée par rapport à la chaussée et réservée à la circulation des piétons (Larousse). La surélévation pourrait être une caractéristique utile à la sécurisation de l'espace réservé aux piétons. Mais le Code de la route qui mentionne à différentes reprises le trottoir (articles R432-7, R412-34, R417-10 et R417-11), n'en donne aucune définition et ne revient pas sur la notion dans son glossaire général inclus à l'article R 110-2.
Ce qu'apporte l'arrêt de la Cour de cassation c'est l'idée que le trottoir peut être surélevé ou ne pas l'être, et que cet espace est bien un trottoir au sens et pour l'application du code de la route dès lors qu'il est réservé à la circulation des piétons et bien distingué de la chaussée par un dispositif approprié. Cette définition est au fond peu contestable. Fallait-il un arrêt de la Cour de cassation pour l'imposer ? Et fallait-il surtout un étonnant détour par une affaire de génocide jugée en Allemagne ?
En l'espèce, un véhicule fait l'objet d'un procès-verbal pour stationnement très gênant sur un trottoir. Son conducteur est cité devant le tribunal de police de Toulon. Il conteste l'infraction retenue, affirmant n'avoir pas stationné sur le trottoir mais sur le bord de la chaussée.
Pourtant, le tribunal de police condamne le prévenu en relevant qu'en général, les usagers de la route savent distinguer entre la chaussée centrale réservée aux véhicules à moteur et les parties latérales extérieures réservées à la circulation des piétons, qu'au vu des procès-verbaux et des photographies, le véhicule en cause était garé sur la partie latérale de la chaussée, laquelle était bien différenciée de sa partie centrale par une nette démarcation quand bien même cette partie latérale n'était pas surélevée.
Le moyen produit devant la Cour de cassation critique cette interprétation de la notion de trottoir, qui serait arbitraire et sans fondement.
La Cour de cassation rejette le moyen en se référant d'abord à la définition fonctionnelle du trottoir : c'est la zone principalement affectée aux piétons qui longe la voie affectée à la circulation des véhicules. Le stationnement d'un véhicule sur un trottoir oblige les piétons à circuler sur la chaussée. Il est donc logique que la sanction de l'infraction de stationnement sur un trottoir (contravention de la quatrième classe) soit aggravée par rapport à celle de stationnement empiétant sur un passage réservé aux piétons ou celle de stationnement gênant (articles R417-5 et R417-10 II 1°, contraventions de la deuxième classe). C'est ce que la Cour de cassation appelle « mettre en cohérence plusieurs textes ».
La circonstance que le trottoir soit surélevé ou non tient aux particularités du terrain et est donc fortuite (elle tiendrait plutôt à la décision de la commune d'investir ou non dans la réalisation d'un trottoir surélevé, mais peu importe). Conditionner la répression de l'infraction de stationnement sur un trottoir au fait que ce trottoir soit surélevé par rapport à la chaussée entraînerait une insécurité juridique et ne serait pas « cohérent avec la substance de l'infraction ». C'est ici, après l'expression citée entre guillemets, qu'est introduite dans le texte de l'arrêt de la Cour de cassation la référence à l'arrêt de la Cour europénne des droits de l’homme rendu le 12 juillet 2007 dans l'affaire Jorgic c. Allemagne, (n° 74613/01).
Dans cette affaire, un Serbe poursuivi en Allemagne pour des actes de génocide commis en 1992 en Bosnie et condamné à une peine de prison perpétuelle, avait formé un recours devant la CEDH pour contester en particulier l'interprétation par la juridiction allemande de la notion de génocide. La Cour européenne a conclu à l'absence de violation de la Convention européenne, développant des considérations parfaitement classiques sur l'interprétation de la loi pénale, et reconnaissant au juge répressif le droit de l'interpréter « à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible ».
Cet appel à l'autorité de la Cour de Strasbourg était inutile. Le principe de légalité des délits et des peines est largement garanti dans notre droit interne, en particulier la Déclaration des droits de l'homme et l'article 111-3 du code pénal. Le principe corollaire d'interprétation stricte (article 111-4 du même code) n'impliquait évidemment pas ici de se lier par la définition descriptive d'un trottoir telle que l'énoncent les principaux dictionnaires. L'interprétation téléologique (ou finaliste) de la loi pénale conduisait naturellement à se référer à la définition fonctionnelle du trottoir et à l'intention de l'autorité réglementaire de mieux assurer le partage de la voie publique et protéger les piétons.
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